Les inévitables bonds de printemps de la météo ont réussi à effrayer quelques inscrits, les restants portaient leurs espoirs sur les éclaircies plus nombreuses que les ondées. La balance a penché du bon côté, protégé que nous étions par les crêtes frontalières dans le douillet Val di Rhêmes italien, situé au sud-ouest de Aoste.
Marc et moi partis en avance avons pu profiter des pentes du Pila et ensuite du Val d’Entrelor en guise d’acclimatation. Le jeudi matin commence donc pour nous par une grasse matinée. Brunella arrive vers les 11h prévue, Bruno et Philippe sont ralentis par un bout d’embouteillage au tunnel du Mont-Blanc, retrouvaille sympa et hop en route vers midi. Deux heures pour monter au refuge Benevolo, pas trop raide, un peu de bottine sur le sentier au début, le dernier pont de neige sur la rivière, tartine et délestage de sac au refuge, pour reprendre ensuite vers les crêtes. Les grosses bourrasques bien fraîches refroidissent quelques ardeurs, le col en dessous de la pointe de Lavassey sera le point culminant de la journée. La première descente en poudreuse promet quelques plaisirs pour cette sortie. Mais la neige change de consistance tous les cent mètres, le plaisir est à la hauteur de la concentration.
Le refuge est bien rempli au soir, les fesses italiennes n’ont pas l’air très large – sentiment partagé au-delà de mon propre postérieur. Il semble que de toute façon le menu italien mette chacun de bonne humeur. Motivés, l’objectif du lendemain est la Punta di Galisia, qui pointe à un honnête 3346m, 1100m au-dessus du refuge.
Vendredi 7h15, le groupe sur ses skis peautés se met en route. La nuitée dans la chambre de 2m de large à couchette en tri-superposé a contribué à la synchronisation des rythmes. Bruno repart de son pas ample, et nous on suit. Quand il est distrait je m’essaie à la tête, tout content de m’enfourner dans la trace toute fraîche laissé par les trois grâces nous précédant et qui ont partagés notre table hier soir. Elles avaient annoncé aller au même sommet que nous et sont parties de bonne heure. Mais bien vite il apparait que leur objectif a changé ou qu’elles ne sont pas futées. On voit dernière nous d’autres groupes partir vers notre gauche, plus en direction du sommet que notre trace ne l’est. Je reprends alors gentiment ma place au milieu de l’équipe et la trace est ajustée en zig-zag, même dans le plat. Pendant quand nous gambadons à travers le vaste cirque enneigé, les ambitions de joli chrono s’évanouissent devant le beau spectacle. La pente se raidit et j’ai le temps de m’interroger sur la cadence infernale de Bruno qui tire la trace en tête. De loin je peux observer la cadence des skieurs de têtes de chaque groupe qui traversent la vallée et j’estime leur rythme en comptant les pas: un-deux-trois-quatre etc. En confrontant ce rythme à notre groupe je me rends compte que notre locomotive tient une cadence d’enfer, ses pas sont court mais fort rapide. Le secret ne serait donc pas dans l’allongement du pas?
En groupe effiloché on parvient au sommet. La vue versant français sur Val d’Isère, la Grande Aiguille Rousse nous comble. Derrière nous le Grand-Paradis se montre avec son petit glacier accroché. Qui sait quand l’Albaron sera gravi dans une prochaine sortie ? Les trois grâces nous gratifient d’un sourire en arrivant au sommet. La traversée versant français par le col leur a pris à peine plus de temps que notre voie directe.
Le début de la descente est fantastique, on rebondit dans un matelas de poudreuse épais d’une bonne quarantaine de centimètres. Il faut un peu pousser dans les faux-plats du bas pour atteindre le refuge, caracoler dans la trace de montée ne suffit pas pour en arriver à bout, il faut un peu de bras ou de pas-de-patineur.
La météo du lendemain est annoncée maussade. Le lendemain matin nous démarrons un peu plus tard, l’espoir fait vivre, la visibilité est encore de quelques centaines de mètres. Quand deux heures plus tard la visibilité est descendue à vingt mètres nous faisons demi-tour. Un peu plus bas, dans un petit mur raide, Brunella perd un ski lors d’une chute. On se met à chercher, on laboure la neige, on sort les pelles, on ratisse la pente, nous discutons de différentes approches méthodiques afin de ne pas passer à côté du ski recherché. Marc nous rassure vers onze heures qu’avec la météo du jour on rate rien à chercher jusque 17h..Quand nous décidons de déplacer les recherches vers le bas, le ski aurait pu continuer à glisser dans la neige profonde, qui n’a pas encore rencontré ce cas, je resonde la zone de chute de chute initiale, et retrouve le ski. OUF. Notre méthode de recherche n’était donc pas au point depuis le début, mais nous avons réussi à ne pas perdre l’épicentre des recherches. Retour au refuge et nouveau départ pour quelques heures, les éclaircies annoncées sont enfin arrivées.
La détente au refuge pour le dernier soir est joviale, génépi et autres sont fraternellement partagés.
Repartis à 7 heures le lendemain pour la dernière montée au Gran Vaudala, chacun s’accommode comme il peut en fonction de l’acclimatation, du repos, des ampoules cutanées, du vent froid qui est de retour.
L’avantage des sorties en étoile est bien que chacun peut adapter son effort, les asymétries dans le groupe ne portent pas trop de conséquences. Au col, on met les crampons pour monter à l’aise dans les cailloux vers le sommet. C’est beau et c’est le dernier de la sortie. Descente plein gaz, recharge du sac au refuge, Marc et moi filons, les autres trainent encore vers d’autres beaux endroits, Combin, Lac Majeur..
La neige dure dans le bas de la montagne réserve ses dernières surprises : un ski daigne s’arrêter avant de sauter dans le ravin, glissade dans de belles flaques. Il faut rester attentif jusqu’au bout, mais le sourire aux lèvres s’élargit à mesure des retrouvailles avec la vallée.
Bernard Martens
L’équipe du moment : Brunella, Philippe , Bruno , Bernard , Marc